Le Mississippi, au fil du blues
Entre Memphis dans le Tennessee et le Mississippi, un pèlerinage aux sources de la musique qu’on aime dans ce vieux sud légendaire où tout a commencé. Le Blues Trail, une route à suivre à la rencontre d’une histoire intense. Découverte…

Par Martine Delaloye
Toute la musique qu’on aime…
BB king, Elvis Presley, Johnny Cash, Otis Redding, Aretha Franklin, Ike Turner, Charley Patton, Robert Johnson… pour ne citer que ceux là parmi toutes les musiciens afro-américains qui nous ont fait vibrer à un moment ou à un autre de leur musique, tous sont venus de là…
Dans ce territoire longé par le Mississippi, dans ces terres où le coton régnait en maître dans des plantations dignes d’ « Autant en emporte le vent », du rude travail dans les champs s’est élevée une musique qui a changé la musique du monde, le blues.
Une terre chargée d’histoire, où l’esclavage et la guerre de sécession ont sévi, mais aussi une terre d’inspiration pour de grands noms de la littérature, comme
Mark Twain, William Faulkner, Tennessee Williams, une terre où le meilleur est né du pire.
Memphis, la porte d’entrée...
La porte d’entrée, c’est Memphis, dans le Tennessee, le rendez-vous de tous les passionnés de musique, de blues, de jazz, de rock and roll qui aspirent à retrouver toute l’âme des premiers musiciens noirs qui sont venus hanter les rues de la ville. Il reste bien peu d’authenticité dans Beal Street, cette rue où le tourisme fait le plein, si ce n’est le Blues Hall Juke Joint ou le BB King Blues Club. La ville cultive le souvenir des ces musiciens fameux. Les studios Stax où dans les années 60, les plus grands musiciens afro-américains, Booker T. Otis Redding Eddie Floyd et bien d’autres ont enregistré, ont été reconstruits après un incendie. A voir pour les instruments, et costumes et l’animation vidéo
Sun Studio, ce petit studio où le premier rock de l’histoire avec Ike Turner fut enregistré, où Sam Philips eut l’intuition du génie d’Elvis et où fut gravé son premier tube en 1954, « That All Right (Mama) » un lieu théâtralisé où les murs résonnent encore des grésillements touchants des premiers enregistrements. Un retour aux sources pour les fans de rock and roll. D’autres talents y firent leurs débuts, Jerry Lee Lewis, Carl Perkins, Johnny Cash... Un petit studio mythique au son si particulier qu’il en est devenu une marque de fabrique.
Comment résister à la curiosité d’en savoir plus sur le King ? La route se poursuit jusqu’à Tupelo, dans la modeste maison de deux pièces où il est né, en passant par le Tupelo Hardward où fut acheté sa première guitare, jusqu’à Graceland, la pompeuse demeure qu’il a fait construire pour installer sa famille avec ses premiers gains… Les costumes d’Elvis, ses centaines de disques d’or qui tapissent les murs, une décoration sortie de Disneyland, mais touchante. La légende embellit l’histoire mais le personnage fascine toujours et l’émotion est là. Et n’est-ce pas ce que l’on vient chercher dans ces lieux mythiques ?

Une terre d’inspiration pour les écrivains...
On file vers le sud… On est au cœur de l’un des états les plus pauvres des Etats-Unis, le Mississippi, le dernier état à mettre fin à l’esclavage. Sur la route, la coquette petite ville d’Oxford dont l’université compte presque autant d’étudiants que d’habitants est une étape de charme. Un haut lieu de la littérature. Sur la place, Square Books, librairie indépendante créée en 1976, n’occupe pas moins de trois librairies où s’alignent près de 600 000 livres. Son créateur Richard Howorth perpétue la vie littéraire de cette bourgade qui est aussi le berceau du Prix Nobel de littérature, William Faulkner. Beaucoup d’autres écrivains, à un moment ou à un autre, ont fait d’Oxford, leur lieu de résidence, John Grisham, Willie Morris, Barry Hannah ou encore Toni Morrison et Richard Ford.
Après une visite de l’impressionnante université, surnommée « Ole Miss » - les universités sont gigantesques aux USA- qui fut le théâtre d’évènements dramatiques lors de l’intégration du premier étudiant noir, James Meredith en 1962 et où un journaliste français a été tué, la belle maison sudiste de William Faulkner, Rowan Oak, au cœur d’un grand parc créée le lien culturel de la ville. Une maison, figée dans le temps avec ses meubles d’origine où il trouva l’inspiration de ses plus grands romans, dans les années trente, Lumière d’Août, le Bruit et Fureur, Tandis que j’agonise… Source d’étonnement, les murs de son bureau sont recouverts de « Parabole » qui lui valut le prix Pulitzer.

Columbus, Tennessee Williams et les maisons Antebellum...
L’escapade littéraire se poursuit jusqu’ à Columbus où l’on ne manque pas de visiter la maison de Tennessee Williams. C’est la maison où il est né, où il a vécut ses premières années en compagnie de sa mère, sa sœur, sa grand-mère et du père détesté. Dans cette maison à l’aspect coquet et aux pièces proprettes, on est à la recherche de l’auteur de Soudain l’été dernier, Un tramway nommé désir, ou La chatte sur un toit brûlant…
Pendant la guerre de sécession, Columbus a ouvert ses églises et ses maisons aux blessés. Alors que les autres villes étaient ravagées, elle a acquis le statut de « ville hôpital « ce qui a permis de préserver de la destruction de nombreuses maisons antebellum (avant la guerre de sécession). Aujourd’hui il est possible de les visiter lors de journées de portes ouvertes, chaque année au mois d’avril. Rosewood Manor date de 1835, Twelve Gables de 1838. Ces belles maisons coloniales cossues, aux colonnades et coursives blanches dominaient généralement les plantations de coton où travaillaient les noirs.

Rosedale, une maison de 1856 est un des plus bel exemple de l’architecture italienne au Mississippi. Les propriétaires ont reconstitué au plus près l’ambiance originelle. Meubles, copies des tapis et des papiers de l’époque réalisées en Angleterre, l’ensemble, scénarisé est absolument époustouflant ! Une maison-musée où vit cette famille. A Natchez en direction de la Nouvelle Orléans, d’autres belles maisons victoriennes font revivre le passé.
En route pour Clarksdale, où rejoindre le Juke Joint Festival, on arrive dans la région du Delta, qui n’est pas véritablement le delta du fleuve, mais un territoire formant vaguement un triangle. C’est sur cette terre, où les noirs travaillaient dans les riches plantations de coton, où régnait le racisme, que sont nés les premiers bluesmen. C’est le berceau du blues ! On traverse de petites villes comme Greenwood, Cleveland, Duncan, ou Indianola, en suivant les marqueurs du Blues Trail, un parcours émouvant qui raconte l’histoire de ces figures de légende.

Will Dockery Plantation, le berceau du Delta Blues...
Au milieu de nulle part, se trouve Will Dockery Plantation où le samedi soir lorsque les ouvriers noirs attendaient leur paie, on poussait les miroirs contre les murs, on accrochait des lampes à huile devant et les bluesmen faisaient retentir leurs instruments de fortune pour récolter quelque menue monnaie. C’était un moment de joie populaire et de réconfort.
Parmi eux Charley Patton, considéré comme le père du Delta Blues ou Robert Johnson, un fabuleux guitariste qui a été une source d’inspiration pour de nombreux musiciens comme Jimi Hendrix, Jimmy Page, Bob Dylan, Keith Richard, Brian Jones ou Eric Clapton. D’autres pionniers du Blues, Tommy Johnson, Son House, sont partis de là avant de s ‘aventurer sur les routes du nord pour tenter de vivre de leur musique. Aujourd’hui, à Will Dockery Plantation, il ne reste qu’une station service dans son jus, et quelques baraques qui laissent pourtant parler l’imagination.
A Indianola, la ville natale de BBKing, un musée est consacré au roi incontesté du Blues. Une rétrospective émouvante entre ses premières années sur une plantation et la superstar. Sa vie, c’était jouer et être sur la route -ce qu’il a fait jusqu’à sa disparition en 2015- comme un long voyage sans fin pour un homme qui ne pouvait rester seul et qui revendiquait 24 enfants ! Juste à côté, il a racheté l’Ebony Club en hommage à Johnny Jones, le fondateur qui laissait entrer sans payer les jeunes musiciens noirs sans le sou. Un autre de ces clubs mythiques où se sont produits les plus grands… www.bbkingmuseum.org

Le Juke Joint Festival en avril à Clarksdale...
Lorsque l’on arrive à Clarksdale, on est d’abord frappé par la déliquescence de la ville. Des bâtiments industriels abandonnés, des friches parcourues de rails, une rue principale aux trottoirs défoncés, des boutiques de vêtements pour ouvriers, des boutiques réservées aux élégantes noires pour assister aux services religieux du dimanche, quelques bars et restos sans prétention. Pas question de faire ici son shopping made in USA.
C’est pourtant dans cette petite ville du vieux sud, que se retrouvent près de 7 000 visiteurs le temps du festival. L’ambiance est bon enfant. Les vieux baba cools aux catogans blanchis accompagnés de leur égéries aux cheveux blonds délavés en robe courte fleurie et santiag sexy, plus trop en phase avec leur physique, les rockers bardés de cuir noir, les bikers avec leurs bananas et les ouvriers agricoles en salopette, les ados en jeans, baskets et casquette visée sur la tête plus rappeurs que rockeurs, tous noirs, blancs déambulent dans les rues où se produisent des groupes de musiciens. Parfois on tombe sur un orchestre, une chanteuse, un guitariste exceptionnels qui retient l’attention un moment, avant de continuer vers d’autres sons. Blues Club, Hambone Art Gallery, Messenger’s Pool Hall, Red’s Lounge, sont les bonnes adresses où écouter de la musique en live.
Le rendez-vous incontournable, c’est tout de même Ground Zero, le club de Morgan Freeman, qui est né ici. Un hangar tagué de toute part, où se bouscule une foule excitée. On boit de la bière, on s’attable tant bien que mal devant quelques fastfoods, on se bouche les oreilles parfois quand retentit dans le fond un rock agressif, mais on aime ça. La musique se prolonge jusqu’au bout de la nuit et dure tout le week-end.
Un tour de ville permet de découvrir une autre facette plus résidentielle de petites maisons coquettes. Partout on retrouve des marqueurs du Mississippi Blues Trail dédiés aux nombreux artistes qui ont laissé leurs traces, Sam Cooke, John Lee Hooker, Ike Turner pour ne citer qu’eux. Le Delta Blues Museum leur est dédié. Et pour les fans de jazz New Orleans, la Nouvelle-Orléans n’est qu’à un pas…
Pour en savoir plus :
Y aller :
American Airlines assure 4 vols quotidiens Paris/Memphis via
Chicago, Dallas, Philadelphie et Charlotte (saisonnier d’avril à octobre). On apprécie tout particulièrement le confort des Main Cabin Extra qui permettent de s’allonger complètement. www.aa.com
Se renseigner : www.memphis-mississippi.fr - www.memphistravel.com et www.visitmississippi.org
(Photos : visitmississippi.org).