Aventure écologique et pédagogique pour Damien Delorme
le 30/12/2015
A 31 ans, Damien Delorme, professeur agrégé de philosophie prépare du 12 janvier au 31 juillet 2016), Untaking Space The US project : 10 000 Km à vélo à travers les Etats-Unis de Miami à Seattle. Découverte...

Quel est votre parcours ?
« j’ai grandi avec des rêves d’écrivains voyageurs… »
Je suis né dans une terre de montagnes en Savoie. J’ai construit, depuis ma jeunesse, mon équilibre dans une poly-activité entre sport en plein air (VTT, ski de fond, ski alpinisme, parapente…) et musique et j’en ai gardé le goût de l’effort, l’amour de la nature et des expériences esthétiques. J’ai grandi avec des rêves d’écrivains voyageurs et la rencontre avec la philosophie a déterminé mes études puis mon choix professionnel parce qu’elle est l’activité vitale par excellence. À un moment, dans mon métier de professeur de philosophie s’est dégagé l’espace pour réaliser des aspirations profondes et Untaking Space, The U.S. project a pris forme.
Pourquoi vous lancez-vous ce défi ?
« il y a un désir vieux de plus de 10 ans d’aller voir le monde… »
La question est étonnante pour moi parce que je ne ressens pas du tout ce projet comme un défi. Un défi, c’est une volonté de se fixer un objectif au-delà de ses limites, de les repousser, de les outrepasser. Une compétition avec soi-même en somme… Cette pensée me semble loin de mon intention et de mon état d’esprit.
À l’origine, il y a un désir vieux de plus de 10 ans d’aller voir le monde, « la création continue d’imprévisible nouveauté » pour reprendre une formule d’un de mes philosophes préférés, Henri Bergson. Ensuite, il y a la volonté d’habiter sa liberté à travers l’expérience existentielle du voyage. Et puis finalement, il y a la volonté de réaliser la synthèse entre expérience existentielle, voyage philosophique et engagement pédagogique. C’est comme cela qu’est né Untaking Space.

Pourquoi sous cette forme et sur cet itinéraire ?
« une « ligne verte » à travers les USA… »
Le vélo est un vieux compagnon parce que j’étais compétiteur dans mon enfance et mon adolescence à Chambéry Cyclisme Compétition. Puis j’ai fait l’expérience du voyage à vélo comme moyen parfait pour tisser un lien entre voyage existentiel et voyage philosophique, en particulier lorsqu’on réfléchit aux rapports à l’espace, à la nature, à soi et aux autres. Le vélo, c’est l’expérience de la liberté, des éléments, de la distance. C’est évidemment cohérent avec l’idée de trouver un moyen léger pour rencontrer des acteurs écolos américains.
Mon « itinéraire » s’est ainsi dessiné comme une « ligne verte » à travers les USA. La question de la ligne me plaît parce qu’elle pointe vers le processus créatif au cœur du voyage. C’est comme un alpiniste qui imagine la ligne sur une paroi, un peintre qui imagine sa composition, un sculpteur qui imagine une forme. La décision s’arrête à un moment donné parce que cela convient…Pour revenir à la « ligne verte » d’Untaking Space, la traversée des USA depuis Miami jusqu’à Seattle s’est formée à partir d’une rencontre entre des contraintes matérielles (un temps disponible, la météo, la langue), des envies symboliques ou esthétiques (par exemple relier la côte Est et la côte Ouest, suivre une côte, parcourir les Rocheuses) et puis des déterminations liées au projet philosophique : rencontrer des écotopies (des lieux de résistance au modèle dominant et d’initiatives écologiques) tout au long du parcours. Tout cela donne une trace prévisionnelle, qui n’est pas encore un « itinéraire » proprement dit parce qu’elle laisse la place à l’imprévu, à la surprise et à l’adaptation, qui font le cœur du voyage.

Qu’attendez-vous des enfants ?
« cela oblige à adresser son propos en allant chercher l’élémentaire… »
Encore une fois, j’aime bien cette question parce qu’elle me semble un peu à côté de ma façon de penser. Je n’ai pas d’attente au sens où ce qui m’importe est de découvrir l’interaction qui va se créer progressivement, pas de prévoir. Mais d’ores et déjà, le fait de travailler avec des enfants produit deux choses intéressantes : cela oblige à adresser son propos en allant chercher l’élémentaire, le plus simple et le plus puissant ; et puis cela crée des interlocuteurs enthousiastes et surprenants, ce qui est bon !
Quelle est votre vision du voyage ?
« le voyage permet d’apprendre à être plus vivant… »
Pour moi, le voyage est plus qu’une vision. C’est un engagement total dans une expérience de l’altérité, qui produit des effets imprévisibles : sortie des routines égotiques, présence, authenticité, hyperactivité sensitive, émotive et intellectuelle. C’est tout le contraire du tourisme ou du divertissement (au sens où Pascal parlait du « divertissement » comme la fuite de soi). C’est très proche d’une expérience mystique en somme.

Je me méfie de l’expression « art de vivre », parce que dans sa reprise marketing actuelle, elle désigne une forme de raffinement ou d’esthétisation de son existence (la décoration d’intérieur, la gastronomie, le style vestimentaire,…). Or tout cela me semble très loin du voyage tel que je le conçois, qui est une expérience de dépossession, d’épurement, de sobriété volontaire. Un décapant existentiel en somme, qui permet un retour à l’essentiel.
Mais « art de vivre » me plait quand même ! L’expression est étonnante puisque l’art renvoie à une technique et un savoir-faire créatif. Or on ne soupçonne pas d’ordinaire que vivre soit l’objet d’une création voire d’une virtuosité artistique. Et peut-être que le voyage permet d’apprendre à être plus vivant. Dans le fond, qu’apprend-on en voyageant ? Qu’on n’est pas chez soi, qu’on est fragile, qu’on passe, qu’on est traversé d’émotions tristes et joyeuses, et qu’on rencontre des personnes et des lieux, parfois magnifiques parfois violents mais en tout cas étonnants compagnons de route… On retrouve en somme dans le voyage les composantes fondamentales de toute existence ! Ces résonances profondes entre notre situation existentielle et l’expérience du voyage me fascinent. Voyager, c’est reconnecter avec l’essentiel de l’existence et souvent cela rend très vivant.

Qu'est-ce qui vous attire aux USA ?
« son immensité, sa diversité, son organisation… »
C'est d'abord l'espace, le « big sky », son immensité, sa diversité, son organisation, sa beauté. Ensuite, c'est la radicalité de la société américaine dans la diversité qu’elle offre et la coexistence des extrêmes (puisqu'on y trouve les adeptes d'un mode de vie insoutenable écologiquement et des survivalistes des plus radicaux). Enfin, c'est un rapport à la nature complexe, impliqué dans une mythologie patrimoniale et constitutive de la culture américaine que je veux découvrir.
Quels sont vos projets ?
« un travail de thèse… »
Les projections à long terme me dépassent. Le voyage prend tout l’espace à vivre. Mais le processus créatif va sans doute continuer ensuite, individuellement dans un travail de thèse en philosophie de l’environnement et collectivement avec l’élaboration d’une exposition qui fera la synthèse entre des productions issues du voyage et des travaux des élèves. Cette création concertée constituerait une belle étape de conclusion pour Untaking Space – c’est en tout cas ce que le nouvel objectif de collecte sur Kisskissbankbank voudrait rendre possible.
Pour en savoir plus :
Consulter le site web : http://usproject2016.com/
(Photos : Damien Delorme).
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