Raphaël Sané et l'Antarctique

le 03/09/2014

Guide, Raphaël Sané a pour terrain de jeu les îles et terres situées entre Ushuaia et la péninsule Antarctique. A travers un livre, partez à la rencontre de ces merveilles naturelles australes. Découverte...



Quel est votre parcours ?


"à l'âge de 15 ans que je suis réellement devenu naturaliste…"

D'aussi loin que je me rappelle, et comme beaucoup d'enfants, j'ai toujours aimé les animaux. Mais c'est à l'âge de 15 ans que je suis réellement devenu naturaliste, lors d'une balade nature organisée en Alsace (ma région d'origine) par le journal local et guidée par un ornithologue associatif. Il m'a révélé que certains oiseaux dont je collectionnais les images vivaient là, tout près de chez moi, et pas à l'autre bout de la Terre !

Ce fut le déclencheur d'une passion qui ne s'est jamais démentie. J'ai aussitôt intégré le réseau associatif régional d'étude et de protection de la nature (oiseaux d'abord, puis mammifères, reptiles, amphibiens, insectes, etc) et m'y suis investi comme bénévole puis administrateur et ensuite salarié. C'est là que j'ai tout appris, ma formation universitaire en écologie (DESS Hydrobiologie) n'ayant été qu'un complément.

Cela pourra paraître étrange à beaucoup de gens, mais c'est un fait qu'en France, le savoir naturaliste (c'est-à-dire identifier, nommer et connaître une espèce, une roche, un paysage) ne s'acquiert par sur les bancs de la fac (qui enseigne plutôt les grands phénomènes) mais essentiellement auprès de ceux qui savent et qui ont pour vocation de partager leur savoir : les associatifs.


Comment est né ce livre et pourquoi ?


"les co-auteurs sont tous guides conférenciers à bord de bateaux…"

Ce livre est né de la volonté de partager une aventure entre copains. Les 8 co-auteurs de "Voyage en Antarctique" sont tous guides-conférenciers à bord de bateaux de croisières à destination des mondes polaires. Au fil des saisons, nous sommes devenus amis. Quand l'idée m'est venue de réaliser cet ouvrage, je me suis très vite rendu compte que cette aventure méritait d'être partagée. Je l'ai donc proposée aux autres et nous avons décidé de mettre nos compétences en commun : la photo pour certains, l'écriture pour d'autres, d'autres encore la mise en page ou la traduction (cet ouvrage existe en français, anglais et allemand), etc. Au final, nous nous sommes mutuellement enrichis de nos images, de nos regards, de notre vision du projet...


Comment avez-vous travaillé avec l'ensemble des auteurs ?


"nous devions resté ouverts à la critique artistique, littéraire…"

De la seule façon qui soit réellement viable : en toute franchise et honnêteté ! Nous avons posé dès le départ qu'il ne devait pas y avoir de tabous dans les discussions entre nous, que nous devions resté ouverts à la critique artistique, littéraire ou de gestion du projet. Bien qu'étant photographes et auteurs amateurs, nous avons également eu le souci permanent de conduire ce projet de façon la plus professionnelle possible. Par exemple, nous avons mis plus de 1300 photos en commun pour finalement retenir les 210 meilleures après un processus de notation rigoureux. Autre exemple : nous avons apporté un soin particulier au texte, pourtant minoritaire par rapport à l'image, en fournissant un maximum d'informations rigoureuses sous forme concise (légendes, têtes de chapitre).


Pourquoi aborder la Terre de Feu et le Shetland du Sud ?


"on avance au fil des pages comme on avance au fil de l'eau…"

Parce qu'avec la péninsule Antarctique, ces terres constituent le triptyque incontournable pour quiconque souhaite visiter le Grand Continent Blanc. En effet, il faut savoir que 30 à 40 000 touristes se rendent chaque année en Antarctique (presque tous en bateaux de croisière), parmi lesquels 85% partent d'Ushuaia (Terre de Feu) et passent par cet avant-poste de la péninsule que constitue l'archipel des Shetland du Sud.

Le livre étant destiné, d'une part à ceux qui reviennent d'un tel voyage, d'autre part à ceux qui ont envie de l'accomplir (et aussi, bien sûr, aux amoureux de nature et de photos), nous avons tout naturellement choisi de présenter l'ensemble du parcours. Au final, on avance au fil des pages comme on avance au fil de l'eau durant une croisière polaire typique...


Ce livre est le fruit de nombreuses expéditions et on y trouve de magnifiques clichés...


"nous cumulons facilement plus de 150 croisières…"

Merci. En effet, l'ouvrage est le fruit de nombreuses saisons passées en péninsule. Je pense que tous ensemble, nous cumulons facilement plus de 150 croisières en Antarctique ! Cela nous a bien sûr permis de vivre de belles diversités de lumières, d'ambiances, de comportements d'animaux, etc. Même s'il ne faut pas oublier que la photographie reste secondaire par rapport à notre travail régulier, qui consiste à accompagner, guider et renseigner les passagers sur les beautés naturelles environnantes, que ce soit à bord (conférences), à terre ou lors de balades en bateau pneumatique.


Quels sont les thèmes mis en avant dans ce livre ?


"nous souhaitions démystifier un peu le Grand Continent Blanc…"

Nous avons souhaité montrer l'Antarctique tel qu'il est ou peut être vu par les personnes qui s'y rendent ou veulent s'y rendre. En un sens, nous souhaitions démystifier un peu le Grand Continent Blanc. Pas dans sa dimension superlative de destination "hors du commun", laquelle reste inégalée (sauf peut-être par la Lune !...).

Mais dans l'image qui prévaut d'une contrée reculée, glacée, désertée par les hommes et les animaux, en un mot : hostile ! Cette image est surtout vraie pour l'intérieur du continent et pour la saison hivernale. L'été (novembre à mars), sur l'extrémité de la péninsule Antarctique -située à seulement 1 à 2 jours de bateau d'Ushuaia-, la température est positive (+2°C en moyenne) et la faune extrêmement abondante : manchots, baleines, phoques, pétrels... sont présents partout !

Mieux : non chassés, les animaux ne sont pas du tout craintifs et se laissent voir de près. Au fil des beaux jours, la neige fond et, à certains endroits, donnent à voir des paysages de toundra verdoyante. C'est cela aussi, l'Antarctique.


Que pensez-vous de la démocratisation des croisières en Antarctique ?


"cette activité est en effet sévèrement encadrée par des règles très strictes…"

Démocratisation est un grand mot : cela reste une destination onéreuse (au moins 4000 € pour 10 jours de croisières, vols non compris). Mais c'est vrai qu'un nombre croissant de navires (une trentaine actuellement) la propose. Et, je pense que c'est plutôt une bonne chose, pour plusieurs raisons.


La première est-que ce tourisme se fait d'une façon réellement durable ?

Cette activité est, en effet, sévèrement encadrée par des règles très strictes. Par exemple, absolument rien ne peut être rejeté en mer au sud du 60° de latitude sud, même pas les eaux usées du navire (tout est compacté et déchargé à chaque retour à Ushuaia) ; les bateaux ne sont autorisés à débarquer que sur un certain nombre de sites, et seulement s'ils transportent moins de 500 passagers ; à chaque débarquement, il ne peut y avoir que 100 personnes maximum à terre au même moment,

La seconde raison est qu'en dépit de l'impact que le tourisme a malgré tout sur l'environnement (le bilan carbone n'est pas nul !), les croisières permettent aux passagers de faire l'expérience sensible de l'Antarctique, une expérience que l'on peut qualifier d'irremplaçable, même par les meilleurs documentaires au monde. Le 7e continent est un monde unique et je n'ai jamais vu personne en revenir déçu. Par contre, j'en ai vu beaucoup de voyageurs revenir transformés, changés au plus profond d'eux-mêmes et plus enclins à prendre soin de leur environnement, de notre planète. C'est du moins ce que je veux croire.


Voyager est-ce pour vous un art de vivre aujourd'hui ?


"j'alterne habituellement 3 mois de croisières vers l'Arctique l'été et 3 mois vers l'Antarctique l'hiver…"

C'est effectivement le mode de vie que j'ai adopté depuis plusieurs années maintenant. J'ai connu la vie "sédentaire" -résidence en Alsace, travail dans une association, voyages pendant les vacances- jusqu'en 2003, date à laquelle j'ai accompli un vieux rêve : partir 20 mois faire du vélo en Amérique Latine (duquel j'ai tiré un récit : L'Amérique latine en roue libre, Editions St-Brice). A mon retour, j'ai été incapable de renouer avec un "poste fixe".

Grâce au réseau associatif, j'ai eu la chance d'enchaîner des contrats pour des postes très variés : ornithologue au Kazakhstan et au Maroc pour une société privée, batracologue pour l'Etat en Alsace, chiroptérologue pour une association en Provence, guide-conférencier naturaliste sur des bateaux de croisière, etc. Aujourd'hui, j'alterne habituellement 3 mois de croisières vers l'Arctique l'été et 3 mois vers l'Antarctique l'hiver avec 3 mois de printemps et d'automne au cours desquels je mène à bien des projets personnels, comme par exemple la réalisation de notre livre sur l'Antarctique ! Mon "camp de base" est aujourd'hui situé en Provence et j'apprécie réellement de m'y poser entre deux escapades. Bien sûr, un tel mode de vie est le fruit d'un choix assumé mais implique aussi des renoncements -eux aussi assumé- comme la vie de famille par exemple.


Qu'est-ce qui vous fascine le plus en Antarctique ?


"nous ne nous lassons pas de découvrir de nouveaux sites…"

Ce que je trouve le plus fascinant est cette capacité infinie d'émerveillement que possède l'Antarctique. Certains passagers, estomaqués dès le premier jour de croisière par une rencontre avec un iceberg, l'observation rapprochée d'une baleine ou la découverte de paysages sublimes, pensent avoir vu le plus beau. Et le second jour, ils sont encore plus abasourdis. Et de même les jours suivants. Pour notre part, années après années, nous ne nous lassons pas de découvrir de nouveaux sites, de nouvelles espèces, de nouvelles qualités de lumières, de nouveaux comportements animaux. C'est la principale raison de notre perpétuel retour vers le "paradis blanc", même pour des personnes comme Petra, l'une des co-auteurs du livre qui, de son propre aveu, déteste pourtant le froid !


Quels sont vos projets ?


"je compte poursuivre l'aventure éditoriale initiée avec la parution du livre sur l'Antarctique…"

Cette année, en plus des croisières polaires prévues, je vais co-organiser une expédition bénévole à pirogue dans un coin perdu de la jungle péruvienne qui n'a pas vu passer de naturalistes depuis très longtemps !

En parallèle, je compte poursuivre l'aventure éditoriale initiée avec la parution du livre sur l'Antarctique ; entre autres heureuses conséquences, notre ouvrage m'a, en effet, permis d'intégrer avec bonheur la maison d'édition Le Sablier en tant que directeur de collection.
Je vais donc m'atteler à enrichir le contenu de la collection Nunataks (beaux livres de voyages, nature et cultures abordant des destinations, des espèces ou un angle d'approche originaux), à commencer par notre prochain opus ; "Voyage au Groenland" (parution printemps 2014 avec les mêmes auteurs) !


Pour en savoir plus

Lire : "Voyage en Antarctique" (Terre de Feu-Shetland du Sud) paru aux éditions Sablier.

(Photos : S.Favrolt, A.Bidart ; R.Sané, N.Dubreuil, A.Copier, J.Sarica, P.Glardon, S.Blanc, A.Bergnière).

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